Au Sénégal le réchauffement des océans à cause des changements climatiques, entraîne une diminution de la ressource halieutique. Les organisations de pêcheurs ont dénoncé à plusieurs occasions, les accords de pêche avec les pays européens dont les navires ne peuvent se mesurer aux pirogues de la pêche artisanale. Le ministère de la pêche des infrastructures maritimes et portuaires a mis un terme aux accords avec l’Union européenne à cause d’une pêche illégale. Pendant ce temps, les femmes qui autrefois tiraient de grandes recettes de la transformation des produits halieutiques, sont confrontées à des difficultés à cause de la rareté de la ressource.
St-Louis du Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (AOF), garde encore les édifices symboles de son passé colonial. Ses bâtiments qui ont résisté au temps, donnent à la ville tout le charme inhérent à son statut de patrimoine mondial de l’Unesco. La langue de barbarie, village traditionnel de pêcheur quant à elle, échappe à cet héritage. Elle est constituée des populeux quartiers : Guet Ndar, Ndar Tout, Gokhou Mbathie. Elle reste ancrée aux traditions de vivre en communauté souvent au prix du luxe et du confort des maisons. Dans cette partie de St-Louis, les nombreuses pirogues amarrées s’étalent à perte de vue. Aux couleurs défraîchies parfois, elles sont de grande taille. La population continue sa vie en dehors des maisons ; la rue est aussi une demeure. Une marmaille de bambins souvent torche nue, pieds déchaussés, côtoient la poussière en dehors des concessions. A l’ombre des hangars de fortune couverts par des rideaux décolorés par une quantité importante de poussière, des jeunes en majorité masculine discutent ou tout en étant occupé par la confection de pirogues. Pour plus d’uns, la vie se résume à la pêche ou à ses activités connexes. Là aussi, la transformation des produits halieutique ne fait plus rêver. Nous retrouvons Khady Bèye Sène, présidente des femmes des relogés de Diougoup au site de transformation des produits halieutiques, dénommé «Sine». Elle fait partie du millier de femmes transformatrices qui s’activent sur les lieux. Une fois le seuil du portail franchi, Sine, point de convergence des «jambaars» (guerrières), appellation en hommage aux femmes transformatrices d’ici, se découvre avec ses installations «barbares». On se perd dans ce site de transformation aux allures de ghetto, tellement il est grand, brouillon à tout point de vue, et insalubre. En cette matinée du mardi, le centre est déserté par la majeure partie de ses occupants et il est plongé dans un calme plat que seules les vagues déferlantes qui viennent s’échouer sur une plage vide osent perturber.
Ses hangars, croulant sous le poids de l’âge, enveloppés de plastiques déchiquetés, ne protègent aucun poisson en séchage. Les étals sont presque vides. La matière première se fait rare, très rare même. Tout ceci montre le déclin d’une activité jadis très pratiquée. C’est ce lieu de travail rempli d’incertitudes que des femmes, à l’image de Khady Bèye Sène, fréquentent au quotidien pour gagner leur vie. « On passe nos journées à ne rien faire. Les prises ne suffisent plus pour que nous développions nos activités », se désole-t-elle. A St-Louis, l’inquiétude est partagé. Fatou Samb, la soixantaine dépassée est la présidente de groupement des femmes transformatrices. « Beaucoup de mes membres ont abandonné les activités de transformation pour d’autres activités jugées mieux rentables », regrette-t-elle.
Même calvaire à Dakar, la capitale
Le débarcadère de Yarakh, un quartier de Dakar, contrairement à ses anciennes habitudes n’est pas très animé. Quelques femmes sont sur les lieux espérant l’arrivée de pêcheurs partis en mer. Les étals sont vides. Le lieu est salle. Une eau noirâtre s’échappe des multiples canalisations qui déversent sans traitement leurs déchets en mer. Aucun poisson n’y est visible. Les quelques espèces que nous avons aperçues, ne dégagent aucune fraicheur. Elles sont petites, rougeâtres, des sardinelles qui n’aiguisent pas l’appétit. «Ce sont les déchets des usines que les femmes utilisent pour la transformation. Elles nous viennent du marché central au poisson de Pikine», informe Ndèye Yacine Dione. A Yarakh, on est plus au temps où le mois de décembre se vivait avec faste, grâce à l’activité lucrative qui n’est autre que la pêche et ses dérivés. «En pareille période, on sentait vraiment le bonne marche des affaires. La mer était poissonneuse. Les femmes s’en sortaient bien», dit Aminata Fall. La transformation de produits halieutiques à Yarakh a perdu son lustre d’antan. Beaucoup de femmes ont abandonné le métier, pour se reconvertir dans la vente de produits saisonniers tels que les melons, les oranges et les légumes. «Ces dernières années, nous sommes fortement touchées par les changements climatiques. Les pêcheurs n’ont plus assez de captures. Les jeunes partent en immigration clandestine. Au temps, à quelques mètres du débarcadère, on sentait l’essor de la transformation. Les congélateurs des femmes étaient tous sur cet espace. Les pirogues accostaient partout. On n’avait pas de problèmes pour trouver du poisson. Vu que la pêche n’est plus rentable, la charge familiale revient à la femme qui se trouve dans l’obligation de trouver de quoi nourrir sa progéniture. En conséquence, certaines se reconvertissent dans la vente de fruits et légumes.» Le constat est d’Aminata Fall. La baisse de revenus fait que, parfois, la prise en charge sanitaire des femmes et de leurs enfants pose problème. «Je suis agent du Service social du Centre de sante de Hann sur Mer. Je sais que certaines femmes n’arrivent même pas à se payer le ticket d’une consultation», s’indigne Aminata Fall.
A Djiffer, les femmes ne sont pas mieux loties
Le village des pêcheurs de Djiffer est un des plus grands sites de débarquement de la pêche artisanale au Sénégal. Il est à plus de 100 km de la capitale. Son quai de pêche grouille de monde en permanence. Des femmes y font de la transformation des produits halieutiques. On y retrouve plusieurs espèces. Les huitres, cymbium murex et arche. Le poisson, rarissime, est stocké dans des caisses. Soda Faye connait bien Djiffer et s’active dans la transformation de produits halieutiques depuis plusieurs berges. C’est en 1993 qu’elle s’est installée dans cet endroit et depuis, elle développe son commerce déjà entamé à Kaffoutine (Casamance), en 1987. Le travail a perdu son prestige. «L’activité n’est plus ce qu’elle était en 1993. Il y avait beaucoup de poissons. A l’époque, nous, les femmes transformatrices, avions beaucoup de clients», se rappelle-t-elle, sur un regard loin et nostalgique. La transformation des produits halieutiques est actuellement menée par plusieurs maux. L’exploitation abusive des produits de la mer par les bateaux étrangers privent les pêcheurs de captures. Ce qui impacte négativement leur activité. A cela vient s’ajouter la découverte du pétrole dans cette zone qui, sans nul doute, aura des répercussions. «La pêche industrielle est blâmable. Les piroguiers n’osent plus aller en haute mer. Nous craignons fortement que les difficultés que nous rencontrons s’accentuent avec l’exploitation du pétrole de Sangomar. Quand le bateau commencera ses activités de transport, je suis sûre qu’aucun piroguier n’osera plus aller en mer. Et déjà, plusieurs pêcheurs sont interdits de s’approcher des installations de l’exploitant», fustige Soda Faye.
Du point de vue culturel, la transformation artisanale est un ensemble de pratiques où des communautés de pêche artisanale notamment les femmes s’identifient. Les produits transformés artisanalement font partie intégrante des habitudes culinaires des sénégalais et par conséquent contribuent à la satisfaction de la demande en protéines. La transformation de produits halieutiques est également une source de revenus importante pour les femmes des zones côtières du Sénégal. Les ressources tirées de la mer sont fermentés, séchés, braisés, salinisés ou fumés. La transformation de produits halieutiques est pratiquée tout le long de la façade maritime et le long de certains estuaires, en milieu rural comme en milieu urbain. Les femmes constituent environ 27% (un total de 139 549 femmes) de la main-d’œuvre dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture au Sénégal, selon des données de l’USAID en 2018.
La plupart d’entre elles (91,5%) sont engagées dans des activités post-récolte telles que la transformation et le commerce, d’après Ocean Risk, 2023.